Exemple de mémoire portant sur le concept de stockage permanent des déchets nucléaires.

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À:

La Commission d'évaluation environnementale
sur les déchets de combustible nucléaire.

RE:

Le concept de stockage permanent
dans des couches géologiques
des déchets nucléaires hautement radioactifs
provenant des réacteurs CANDU,
tel que proposé par Énergie atomique du Canada limitée.


Le concept proposé par Énergie atomique du Canada limitée d'enfouir les déchets nucléaires hautement radioactifs produits par l'industrie nucléaire canadienne dans la roche du Bouclier canadien n'est pas acceptable pour les raisons suivantes:

  1. Le gouvernement canadien et l'industrie nucléaire ont tous deux clairement manifesté leur intention de continuer de produire indéfiniment des déchets nucléaires si le concept est approuvé. Donc, le but du concept n'est pas de résoudre le problème, mais bien d'offrir une justification pour pouvoir le perpétuer. Les déchets nucléaires les plus intensément radioactifs --ceux qui ont été retirés d'un réacteur depuis moins de dix ans-- dégagent trop de chaleur pour être enfouis; cette part des déchets, les plus radioactifs, devront donc être gardés en surface tant et aussi longtemps qu'il y aura des réacteurs nucléaires en marche. Donc, à moins de fermer les réacteurs, le risque en surface ne sera jamais réduit de façon significative, peu importe la quantité de déchets enfouis. Cet aspect du concept est inacceptable.

  2. Le gouvernement du Canada et l'industrie nucléaire se sont montrés irrespectueux du processus démocratique en faisant en sorte que les citoyens canadiens n'aient pas l'occasion, dans un cadre officiel, de débattre des mérites de l'énergie nucléaire en tant qu'option énergétique et en empêchant les membres de la présente commission d'examiner l'option de mettre fin, carrément, à la production de déchets nucléaires comme option de politique énergétique. Politiquement, cela n'a pas de sens; scientifiquement, non plus. Tout concept de gestion de déchets qui requiert qu'on musèle la différence d'opinion est inacceptable.

  3. Le Bouclier canadien est peuplé surtout d'autochtones et de petites communautés, parfois isolées. À quelques exceptions près, ces gens n'ont eu rien à dire sur la production de déchets nucléaires hautement radioactifs et ont bénéficié peu ou pas du tout de l'électricité qui accompagne la production de ces déchets. De plus, ils n'ont ni les ressources, ni la compétence nécessaires pour évaluer la nature de ces déchets que le gouvernement et l'industrie nucléaire veulent leur imposer. Il est inacceptable et fondamentalement injuste de s'attendre à ce que les secteurs les plus défavorisés de notre société doivent subir les effets indésirables des bénéfices qui ont profité aux plus avantagés.

  4. Le terme élimination (disposal), dans le sens d'isoler en permanence de la biosphère, n'a, à toute fin pratique jamais été défini; il est donc impossible d'en faire la vérification scientifique. La race humaine n'a jamais réussi à "éliminer" quoique ce soit. La nature a recours à des moyens très ingénieux pour arriver à recycler presque tout. Les scientifiques dans le domaine nucléaire prétendent qu'ils peuvent empêcher la nature de recycler les déchets radioactifs. Nous ne croyons pas que la science a le pouvoir de dicter quoi que ce soit à la nature ou encore de prédire l'avenir plusieurs milliers d'années à l'avance. La science n'arrive même pas à prédire le temps qu'il fera le mois prochain.

  5. Si on enfouissait les déchets radioactifs dans des excavations dans la roche à grande profondeur et qu'on en scellait les ouvertures, et qu'un jour quelqu'un en surface se rendait compte qu'une fuite s'était produite, il serait alors beaucoup trop tard pour prendre des mesures correctives efficaces. Même si on procédait à la réouverture du site de stockage souterrain et à l'enlèvement des déchets nucléaires, le degré et l'étendue de la contamination souterraine seraient tellement élevés qu'une telle opération n'aurait que peu de résultats. Irrécupérable signifie irresponsable. Une telle approche est inacceptable.

  6. Nous acceptons comme probable que certaines formations géologiques aient été stables pendant des millions d'années. Il est impossible, cependant, d'y mettre des déchets sans déranger cette même roche. On ne peut prédire non plus avec beaucoup de certitude le taux de détérioration des matériaux qui seraient utilisés par les ingénieurs pour sceller le puits de l'excavation. De plus, l'expansion et la contraction de la masse rocheuse causées par la chaleur dégagée par les déchets radioactifs qui y seraient enfouis auraient des effets sur l'installation souterraine pendant au moins cinquante mille ans.

  7. L'industrie nucléaire n'a pas mis de côté les fonds (qu'ils estiment à 13 milliards $) qui seraient nécessaires pour la mise en oeuvre du concept de l'enfouissement dans la roche, pas plus qu'elle n'a démontré la capacité financière de générer cette somme à temps pour la mise en chantier. Si on se fie au passé, la sous-estimation est de rigueur lorsque EACL avance des chiffres sur la prévision de ses coûts en capital, et ce par un facteur de trois et même plus. Et qu'en est-il des plans d'urgence? Que fera-t-on si on procède à l'excavation d'un site d'enfouissement et qu'on découvre, après avoir fait tous les tests dans le cadre de la caractérisation du site, que le site choisi est inacceptable? En l'absence de fonds placés pour accumuler les ressources financières nécessaires, il est évident que l'industrie n'a pas les moyens financiers qu'il faut et que le concept lui-même est donc inacceptable.

  8. Le concept d'enfouissement dans la roche se base sur une prémisse sans fondement, soit qu'on pourra se passer de contrôles institutionnels. Rien n'indique que les générations futures ne compromettront pas l'intégrité d'une installation souterraine, sciemment ou pas. Il se pourrait que de grands centres urbains se développent dans des régions inhabitées jusqu'alors, et qu'on aille perforer le site d'enfouissement comme une pelote à épingles. Les archéologues d'une ère lointaine, intrigués par la découverte d'indices montrant d'énormes excavations faites de main d'homme, pourraient bien les mettre à jour, imaginant y découvrir des trésors inestimables. De futurs militaires pourraient bien vouloir aller y chercher le plutonium contenu dans les déchets nucléaires pour se bâtir un arsenal nucléaire. Qu'aucun contrôle institutionnel ne soit nécessaire est une prémisse inacceptable.

  9. Nous croyons que les membres de la présente commission d'enquête font l'objet de pressions de la part de l'industrie, du gouvernement ainsi que de la part de certains éléments de la communauté scientifique pour qu'ils approuvent ce concept malgré le fait qu'on ait pas fait la preuve qu'il est sécuritaire ou acceptable. (Dans chacun des cas, on défend ses propres intérêts: l'industrie voudrait qu'on lui fasse un bilan de santé parfait, le gouvernement voudrait faire taire ceux qui le critiquent et les scientifiques voudraient qu'on continue à faire de la recherche). Nous implorons les membres de la commission de ne pas céder à cette pression, mais d'avoir plutôt le courage de dire la vérité: que le promoteur n'a convaincu personne que d'enfouir les déchets nucléaires dans le roc est sécuritaire ou acceptable. Nous ne demandons que deux choses: vérité et honnêteté.

  10. Nous croyons que la commission fait l'objet de pressions pour qu'elle recommande qu'on passe à l'étape du choix d'un site afin de pouvoir (peut- être) mettre en oeuvre la proposition. Nous implorons les membres de la commission de ne pas céder à cette pression. Parce que si la commission recommande de passer à l'étape du choix du site, plusieurs intervenants interpréteront cette recommandation comme une acceptation en principe du concept. Nous croyons qu'une telle démarche de la part de la commission sera utilisée ici et partout à travers le monde pour étouffer le véritable débat sur l'énergie nucléaire plutôt que de faire la lumière sur les véritables enjeux et de promouvoir un dialogue éclairé sur les meilleures options à choisir pour notre avenir à tous. Ne vous laissez pas manipuler de cette façon.

À notre avis, il y a quelque chose qui cloche lorsqu'on prend des centaines de millions de dollars de la poche des contribuables pour les donner à Énergie atomique du Canada limitée, une société vouée à la promotion de l'énergie nucléaire, pour qu'elle développe un concept qui vise à justifier l'utilisation de l'énergie nucléaire plutôt qu'à essayer de résoudre un sérieux problème environnemental et de santé publique. Ni l'industrie nucléaire, ni le gouvernement n'a jamais décrit les déchets nucléaires hautement radioactifs comme posant un danger énorme à la santé humaine et à l'environnement. De la façon dont ils procèdent, ils pourront enterrer les déchets et quand même continuer à les produire, laissant toujours la portion la plus radioactive de ceux-ci en surface.

Pendant que se tiennent ces audiences publiques, le Premier ministre Jean Chrétien voyage de par le monde et vend des réacteurs, exportant et amplifiant par le fait même le problème à l'étranger. Monsieur Chrétien a aussi déclaré que le Canada est d'accord en principe pour importer le plutonium en provenance d'autres pays, et ce sans qu'il y ait eu ni débat parlementaire, ni consultation publique. Toute la planification à long terme du gouvernement et de l'industrie est fondée sur l'approbation du concept par la commission d'enquête. Pendant ce temps, les partisans du nucléaire parlent ouvertement de l'importation des déchets nucléaires de l'étranger comme moyen de financer le stockage dans le roc.

Pour qu'un concept soit acceptable, il faut que les motifs qui le sous-tendent soient corrects; les sous-entendus doivent être clairs; et la discussion doit se faire dans un esprit de bonne foi. Aucune de ces conditions ne s'applique dans le cas présent. Qui plus est, on n'a pas démontré que le concept est sécuritaire au delà de tout doute raisonnable; nos connaissances scientifiques actuelles ne sont pas suffisamment avancées pour nous permettre de déterminer si on peut se fier à ce que l'enfouissement dans les couches géologiques fonctionne tel qu'on le prévoit. Ainsi, pour nous, et nous espérons que pour vous aussi, le concept n'est pas acceptable.


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