Opinion :
sur les essais nucléaires en Inde


La responsabilité canadienne
dans la course aux armements nucléaires.



Le Devoir
lundi le 25 May 1998


par Marc Chénier


géologue , porte-parole
et membre du conseil d'administration
du Regroupement pour la surveillance du nucléaire



L'Inde vient d'effectuer 5 essais nucléaires souterrains, dont un engin thermonucléaire au tritium. Elle démontre ainsi sa capacité de développer un arsenal moderne d'armes nucléaires qui inclut les très puissantes bombes thermonucléaires.

Le Pakistan a réagi en menaçant de procéder à ses propres essais. La Corée du Nord dit se sentir menacée par ce déséquilibre et pourrait reprendre son programme d'armement nucléaire.

C'est le Canada, quoique en dise le premier ministre Chrétien, qui a joué le rôle clé qui a permis à l'Inde de se joindre au club sélect des puissances nucléaires déclarées.

En 1956, le Canada a lancé l'Inde dans la voie nucléaire en lui donnant le moyen de procéder à son premier essai nucléaire. Notre pays fit alors un cadeau à l'Inde d'un réacteur de «recherche» et de production de plutonium, le CIRUS. Ce réacteur était modelé sur le réacteur NRX, un réacteur à eau lourde. On l'utilisa à Chalk River, en Ontario, à partir de 1947 pour produire du plutonium servant au programme d'armement nucléaire des États-Unis. L'Inde s'engageait, bien sûr, à n'utiliser ce réacteur qu'à des fins pacifiques.

Suite à la mise en service du CIRUS, le Canada «vendit», en offrant des prêts à taux préférentiels, 2 réacteurs CANDU de 200 MW à l'Inde, soit le RAPP-1 et le RAPP-2. De plus, le Canada fournit gracieusement à son client tous les renseignements nécessaires pour qu'il puisse fabriquer lui-même ses propres réacteurs CANDU. Le RAPP-1 entra en service en 1972; le RAPP-2 démarra plus tard puisque l'Inde, entre-temps, procéda à son premier essai nucléaire, en 1974, en utilisant du plutonium créé dans le CIRUS.

Puisque les 2 pays n'arrivèrent pas à s'entendre suite à cet essai, le Canada mit fin, après un délai de 2 ans, à toute coopération nucléaire avec l'Inde. L'Inde a maintenant 6 autres réacteurs CANDU de 200 MW, semblables aux RAPP de conception canadienne. Chacun de ces réacteurs a la capacité de produire annuellement entre 50 et 60 kilogrammes de plutonium. Une bombe au plutonium, comme celle larguée sur Nagasaki, nécessite entre 5 et 8 kg de plutonium.

Comme les réacteurs CANDU et leurs clones utilisent l'eau lourde comme modérateur, ils génèrent une grande quantité de tritium, forme radioactive de l'hydrogène. En plus d'être radioactif, et donc dangereux pour la santé et l'environnement, le tritium est l'élément explosif principal des bombes thermonucléaires, aussi appelées bombes à fusion ou bombes à hydrogène. Celles-ci sont beaucoup plus destructrices que les bombes à fission qui utilisent seulement du plutonium ou de l'uranium enrichi. La puissance des bombes thermonucléaires peut atteindre des seuils extrêmement élevés.

Pour pouvoir l'utiliser, il faut aussi une petite quantité de plutonium qui agit comme déclencheur, permettant au tritium dans la bombe d'atteindre une température de 100 millions de degrés Celsius, température au-delà de laquelle la réaction de fusion (l'explosion principale) peut se produire. Une bombe thermonucléaire requiert entre 10 et 30 grammes de tritium.

Or en janvier 1998, un article publié dans le périodique militaire Janes Intelligence Review rapporte que l'Inde a réussi à concentrer le tritium de l'eau lourde des réacteurs CANDU pour l'utiliser comme explosif dans des bombes thermonucléaires. Les réacteurs CANDU sont les seuls réacteurs dans le commerce capables de produire et le plutonium et le tritium. Le Canada, en donnant et vendant à l'Inde des réacteurs CANDU et en lui transférant sa technologie, lui a permis de développer non seulement la bombe au plutonium, mais aussi la très redoutable bombe thermonucléaire: d'une pierre deux coups!

La responsabilité canadienne est d'autant plus grande qu'on continue à «vendre» les réacteurs CANDU dans le monde. Le premier ministre Jean Chrétien lui-même se fait personnellement le promoteur du CANDU lors de ses voyages à l'étranger (comme en Turquie et en Indonésie, 2 pays ciblés par EACL pour de futures ventes) et fait grand état des «ventes» à la Chine et à la Corée du Sud, ainsi que des ententes de coopération nucléaire avec l'Argentine. Que fera-t-il lorsque la Turquie ou l'Indonésie procédera à son premier essai nucléaire? Rappellera-t-il notre ambassadeur?

Chaque réacteur CANDU est en fait une fabrique potentielle de bombes. Le plutonium qu'il produit dans ses déchets et le tritium qui s'accumule dans l'eau lourde de son modérateur donne à son propriétaire la possibilité de s'en servir à des fins militaires. Et comme la demi-vie du plutonium est assez longue, soit 24 000 ans, cela veut dire que cet élément essentiel au deux types d'armement nucléaire sera disponible pendant des dizaines de milliers d'années à qui voudra bien s'en servir. Pour se donner une idée de l'échelle du temps, les pyramides d'Égypte ont été construites il y a à peine 5 000 ans.

Même si un gouvernement signe une promesse de ne pas se servir de ses réacteurs à des fins militaires, il peut choisir de ne pas la respecter. C'est le cas de l'Irak qui est signataire du Traité de non prolifération des armes nucléaires (TNP). Un nouveau régime arrivant au pouvoir pourrait aussi choisir de ne pas respecter les ententes signées par un de ces prédécesseurs.

Le Canada a vendu tous ses CANDU à des régimes totalitaires ou à des démocraties précaires, comme

Et à qui encore? Au Pakistan, en 1964. Qui plus est, quelques années après avoir annoncé la rupture de sa coopération nucléaire avec l'Inde et ensuite avec le Pakistan, le Canada a permis que sa société d'État, Énergie atomique du Canada limitée, se rende en Inde pour discuter de réparations aux réacteurs et de nouveaux contrats de vente. Notre gouvernement a aussi permis, en 1989, que l'Inde se joigne en catimini au Programme d'échange de renseignements du Groupe de propriétaires de CANDU (COG); il en va de même pour le Pakistan.

Il est hypocrite de la part de notre pays de dénoncer les essais indiens tout en trouvant tout naturel que les États-Unis et la France possèdent l'arme nucléaire. Il est hypocrite que le Canada fasse partie de l'OTAN qui se réserve le droit de première frappe à l'arme nucléaire. Il est hypocrite de notre part, dans le cas de la Chine, que nous ne nous préoccupions pas que nos clients soient dotés de l'arme nucléaire.

Le premier ministre Chrétien devrait reconnaître la part du Canada dans la prolifération des armes nucléaires plutôt que de s'en laver les mains, et prendre les moyens qu'il faut pour assurer la paix et la sécurité dans le monde.

Ces moyens pourraient être les suivants:


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