Médecine
nucléaire,
radio-isotopes
et l'industrie
électronucléaire
[ English Version ]
octobre 1991
La Campagne contre l'expansion du nucléaire a joué un
rôle important dans l'initiation d'un débat parlementaire sur le
nucléaire, en lançant en 1991 un projet de loi qui voulait interdire
d'accorder des permis d'opération aux nouveaux réacteurs
nucléaires pour un périod de 50 ans.
Un des arguments utilisés par les porte-parole de l'industrie pour miner
tout appui à ce projet de loi soutenait que cette loi aurait un impact
négatif sur le médecine nucléaire et sur la recherche
scientifique, en éliminant une source importante des radio-isotopes (dont
un partie -- notamment le cobalt-60 -- est produite dans les réacteurs
d'Ontario-Hydro). Mais c'est d'induire la population en erreur, comme la
document qui suit tente de le démontrer.
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Les porte-parole de l'industrie nucléaire canadienne trompent la population
quand ils soutiennent que le Projet de loi C-204 aurait un effet subit et
dangereusement négatif, nuisible à la médecine
nucléaire et à l'usage de la radiation dans l'industrie et la recherche
scientifique. (Voir ci-joint un document
chronologique avec des commentaires de scientifiques indépendants
dans les domaines de la physique nucléaire et de la médecine
nucléaire, ainsi que dans d'autres champs de la médecine et des
sciences.)
- Premièrement, if faut souligner que les machines à rayons-x
(radiographies) ne sont aucunement touchées par le Projet de loi C-
204. Ces machines, ou appareils, ont été construites et
utilisées en grand nombre pendant un demi-siècle, avant que le
premier réacteur nucléaire ne soit construit.
Ces appareils permettent de faire des diagnostics en photographiant les os et les
organes situés à l'intérieur du corps humains. Les rayons-x
servent aussi en thérapie, tuant les cellules cancéreuses et
réduisant les tumeurs. Ils ont également servi à
stériliser des insectes et des animaux, à vérifier les soudures
industrielles, bref, à une foule d'usages.
Contrairement aux réacteurs nucléaires ces appareils ne
présentent aucun danger dès qu'ils sont éteints. Ils ne
produisent aucun déchet radioactif. Ils ne doivent pas être
démantelés par des robots. Ils ne peuvent servir de matière
explosive dans une bombe atomique.
- Deuxièment, il faut reconnaître que les radio-isotopes
étaient également utilisés en médecine
nucléaire, en recherche scientifique et en industrie pendant un demi
siècle avant la construction des premiers réacteurs
nucléaires. Au début, on utilisait des radio-isotopes provenant de
la nature, comme le radium-226, le radium-224, le radon-222, le polonium-210, le
tritium (hydrogène-3), le carbone-14, et cetera. Encore aujourd'hui, les
aiguilles au radium et les graines de radon servent à réduire les
tumeurs cancéreuses, et le polonium-210 sert, dans l'industrie, à
éliminer l'électricité statique.
Ces substances radioactives n'ont rien à voir avec l'utilisation de
réacteurs nucléaires. Plus tard, dans les années 1940,
quand les premiers accélérateurs de particules ont
été construits (en premier lieu le cyclotron d'Ernest
Lawrence, en Californie) une foule de radio-isotopes artificiels devinrent
disponibles -- produits, non pas par la fission de l'uranium ou par un
bombardement de neutrons à l'intérieur d'un réacteur
nucléaire, mais simplement par la collision de particules sous-atomiques
avec diverse cibles.
- Troisiènement, il faut souligner que même si de nombreux
radio-isotopes utilisés dans l'industrie, la médecine et la
recherche scientifique peuvent être produits à l'intérieur
d'un réacteur nucléaire, la plupart d'entre eux, et d'autres aussi,
peuvent être produits dans un accélérateur de particules,
comme un cyclotron. Donc, même s'il n'y avait plus de réacteurs
nucléaires, nous continuerions à pouvoir utiliser une grand
variété de radio-isotopes artificiels produits dans les
accélérateurs.
Bien que les accélérateurs
créent une petite quantitié de radioactivité
résiduelle, ils ne posent pas l'énorme problème des grandes
quantités de déchets radioactifs ni la possibilité d'une
catastrophe. De plus, ces accélérateurs ne pourraient produire de
matière susceptible de servir comme explosif nucléaire.
- Quatrièmement, il faut reconnaître que le Projet de loi
C-204 ne touche nullement au fonctionnement des réacteurs en place.
Si
l'industrie nucléaire ne se trompe pas en disant que les réacteurs
actuels peuvent continuer à fonctionner pendant encore trente ou quarante
ans, voire davantage, il n'y a aucune raison d'envisager une réduction
dans la production des radio-isotopes en provenance des réacteurs CANDU
pendant plusieurs décennies. Ainsi le cobalt-60, principal radio-isotope
produit actuellemet au Canada et qui ne s'obtient pas facilement dans un
accélérateur, peut continuer à être obtenu ici pendant
plusieurs dizaines d'années, même si on adoptait cette année
le Projet de loi C-204 .
Ajoutons que les entreprises nucléaires canadiennes ne produisent
nullement à pleine capacité en ce qui concerne le cobalt-60;
même si le marché pour ce produit augmentait, on n'aurait pas besoin
de construire de nouveaux réacteurs. Or, le marché pour le
cobalt-60, loin d'augmenter, diminue. Il s'en suit qu'ÉACL a eu
recours, ces dernières années, à des mises à pied de
centaines d'employé(e)s associé(e)s à la production du
cobalt-60.
Au cours des trente ou quarante années à venir, on pourrait donc
envisager les possibilités suivantes:
- éliminer
complètement l'utilisation du cobalt-60 en mettant au point une
technologie plus sécuritaire, d'autant plus que plusieurs personnes sont
mortes à la suite des erreurs informatiques dans les appareils de
radio-thérapie d'ÉACL qui utilisaient du cobalt-60;
- avoir recours à d'autres types de radio-isotopes, produits en
cyclotron, et qui pourraient se substituer au cobalt-60; ou encore mettre au
point une méthode sûre de produire économiquement du
cobalt-60 en accélérateur;
- maintenir un petit nombre de réacteurs uniquement pour produire un
choix de radionucleides réservés à la recherche
médicale, industrielle et scientifique.
Il est donc erroné de dire que la médecine nucléaire ou
l'usage de radiation en recherche scientifique et en industrie dépendent
essentiellement, d'une maniére ou d'une autre, des réacteurs
nucléaires. Ces activités, médicales, industrielles ou
scientifiques, existaient bien avant les premiers réacteurs
nucléaires et continueront d'avoir cours bien après la fermeture
des derniers réacteurs.
ANNEXE:
CHRONOLOGIE ABRÉGÉE DE LA CONTROVERSE «
SLOWPOKE
»
AU CENTRE HOSPITALIER DE L'UNIVERSITÉ DE
SHERBROOKE
(CHUS)
À l'automne de 1987, Énergie Atomique du Canada Ltée
(ÉACL) , à huis clos et sans avis public, entreprend de
négocier, avec les autorités du Centre hospitalier de
l'université de Sherbrooke (CHUS) , l'installation gratuite --
c'est-à-dire aux frais des contribuable canadiens -- du prototype d'une
nouvelle génération de réacteurs nucléaires pouvant
assurer le chauffage du complexe hospitalier. (Avec une population de plus de 75
000 habitants, plus environ 10 000 étudiant(e)s de niveau collègial
ou universitaire, Sherbrooke est la principale ville de l'Estrie.)
L'idée est particulièrement bien reçue par le Dr.
Étienne LeBel, ancien directeur du Département de
médecine nucléaire, qui dira (beaucoup plus tard) que le
réacteur SLOWPOKE de 10 mégawatts proposé par
ÉACL
propulserait le CHUS à l'avant-garde de la technologie en médecine
nucléaire par la production de radio-isotopes.
- Le 16février 1988, ÉACL fait une présentation au
Conseil
d'administration du CHUS promettant « très peu de
réaction
de la part de la population » au projet de réacteur, et
suggérant que d'autres institutions verraient d'un oeil favorable une
offre identique d'ÉACL d'un réacteur « gratuit
».
- Le 14 mars 1988, le projet de réacteur SLOWPOKE éclate dans un
quotidien local. Le professeur Max Krell, docteur en physique nucléaire
et professeur de Sciences de l'informatique à l'université de
Sherbrooke, lit la nouvelle et s'inquiète à l'idée
avancée par ÉACL qu'un réacteur nucléaire (dont il
connaît bien les principes) puisse servir au chauffage d'un grand complexe. Le
professeur Krell a déjà travaillé dans d'importants centres
de recherche nucléaire en Allemagne et en Suisse. Eventuellement, il
s'opposera ouvertement au projet du réacteur SLOWPOKE au
CHUS.
- Le 6 avril 1988, le directeur général du CHUS, Monsieur
Normand
Simoneau, dit aux médias que le réacteur SLOWPOKE sera
utilisé non seulement pour le chauffage mais aussi pour la production de
radio-isotopes utilisés en médecine nucléaire.
- Le 27 avril 1988, la direction de l'hôpital souligne aux médias
que la production de radioisotopes leur semble plus importante que la question de
chauffage dans leur choix du réacteur. Le 19 mai, un groupe de citoyens
forme une coalition contre le réacteur après avoir entendu des
conférences d'information du mathématicien Dr. Gordon Edwards,
du physicien Professeur Max Krell, de l'ingénieur civil Michael Grayson et
de plusieurs autres.
- Le 4 septembre 1988, Max Krell reçoit une lettre du Dr. Louis Rosen,
Senior Fellow au prestigieux Laboratoire National de Los Alamos
(Nouveau-Mexique) et physicien de renom, disant:
«Je crois que
vous seriezplus sages d'obtenir un cyclotron pour la production d'isotopes à
usage
médical, cela vous éviterait les préoccupations à
l'environnement qu'un réacteur peut occasionner.»
- Le 18 septembre 1988, nouvelle lettre à Max Krell d'un autre physicien
du Laboratoire National de Los Alamos , Hal O'Brien, disant:
«Je suis entièrement d'accord avec le Dr. Rosen, un
accélérateur est le meilleur choix pour un centre hospitalier
universitaire.»
- Le 29 septembre 1988, le Syndicat des travailleurs de la santé de
CHUS, représentant 1150 enployé(e)s, tient une
conférence de presse et annonce officiellement son opposition au projet
SLOWPOKE. Un ingénieur de la CSN, M. Quassai Sanuk dit à la
presse:
«L'Industrie nucléaire est en crise. Elle est
fortement appuyée financièrement par le gouvernement et cherche
à survivre. Le SLOWPOKE fait partie de cette stratégie de
survie.»
- Le 10 septembre 1988, un groupe de neuf physiciens de l'université de
Sherbrooke fait parvenir à la Coalition une résolution exprimant
son opposition au projet SLOWPOKE. Le 16 novembre, l'assemblée
générale du Syndicat des professeur(e)s de l'université
de Sherbrooke , représentant 400 membres, adopte également
une
résolution contre le réacteur.
- Jusqu'au 24 novembre 1988, une pétition circule contre le projet
SLOWPOKE et elle reçoit la signature de 83 pour cent (29 sur 35) des
chercheur(e)s du Département de médecine
nucléaire de l'hôpital. La pétition déclare, entre
autres choses: «Je suis ouvert à l'installation d'un
accélérateur ou d'un cyclotron, par exemple, pour la production
sécuritaire de certains radio-isotopes.» Les trois chercheurs du
département qui ont organisé la pétition disent avoir des
raisons scientifiques aussi bien qu'environnementales pour s'opposer au
SLOWPOKE.
- Fin novembre 1988, on demande aux professeur(e)s et au personnel
médical de la Faculté de médecine de l'université
de Sherbrooke de prendre position pour ou contre le réacteur. Comme
il n'y a pas consensus, tous et toutes sont invité(e)s à se
renseigner davantage pour se prononcer, fin janvier 1989.
- Le 8 décembre 1988, Monsieur Réal Rancourt, ancien
député du Parti québécois, remet à la presse
une déclaration s'opposant au réacteur et suggérant
plutôt un cyclotron. Le 9 décembre 1988, les Drs. Pierre
Deslongchamps, chimiste, André-Marie Tremblay, physicien, et
André
Beaudoin, biologiste, tous trois professeurs titulaires de l'université de
Sherbrooke, s'opposent formellement au SLOWPOKE. M. Beaudoin déclare:
«Une majorité de mes collègues, techniciens, étudiants
diplomés, et secrétaires du Département de biologie se
joignent à moi pour s'opposer à ce réacteur.»
- Le 9 décembre 1988, une lettre du physicien André-Marie
Tremblay au directeur général du Centre hospitalier , M. Normand
Simoneau, note que la direction du Département de médecine
nucléaire du CHUS n'a toujours pas été
consultée en ce qui concerne le projet SLOWPOKE, si bien que ce
«projet de recherche »ne provient nullement de ce département
que l'on cite fréquemment comme devant en être le principal
bénéficiaire.
- Le 16 décembre 1988, le Syndicat des infirmiers et
infirmières du CHUS , représentant 650 membres, rend
publique une résolution unanime contre l'acquisition du réacteur,
alléguant les dangers, pour la santé publique et l'environnement,
inhérents à de tels projets.
- Le 17 décembre 1988, Mme Monique Gagnon-Tremblay,
députée de Saint-François et
ministre-déléguée à la condition
féminine , adresse une longue lettre au Conseil d'administration
du
CHUS disant notamment: «La population que je représente est
massivement contre ce projet. Je ne peux donc que m'en faire
l'écho.»
- Le 20 décembre 1988, le Conseil d'administration du CHUS
annonce sa décision unanime, prise le jour même, d'abandonner le
projet SLOWPOKE, mais qu'en même temps il poursuivra «par d'autres
moyens son objectif de produire des radio-isotopes pour la recherche
médicale.»
extraits de la
publication
«David contre le Goliath nucléaire : victoire environnementale en
Estrie»
publiée en 1990 par
Coalition pour la
surveillance du nucléaire (COSUN)
[ Répertoire du RSN ]

nombre de visites au site WEB du RSN
depuis le 27 mars 1997: 100 000 PLUS

(compteur remis à zéro à minuit, le 2 juillet 1998)